jeudi 27 janvier 2011

Petits contes philosophiques


Je viens de suivre une formation avec Michel Piquemal, conteur philosophe... Voici trois textes que j'ai écrits à cette occasion.

POURQUOI LA GIRAFE A LA PEAU TACHÉE ?

Il était un temps où la girafe avait le pelage uni. La girafe se plaignait beaucoup de sa condition et, voyant les autres animaux de la savane, en concluait que tous avaient, bien plus qu'elle, été avantagés par le Créateur.

"Oh, ce n'est pas possible, ce long cou à supporter me fatigue, me fatigue, me fatigue. Si encore, ce cou m'apportait une beauté spéciale ou faisait peur aux autres. Mais là, je n'en subis que les inconvénients. Ah si j'étais belle comme un zèbre ou comme un guépard. Si l'on excepte ce fichu cou, je suis tellement ordinaire !"

Ainsi, la girafe à longueur de journée, de semaine, de mois ne cesse de jalouser les autres animaux et de se morfondre…

Un jour, n'y tenant plus, elle demande au zèbre : "Comment se fait-il que tu aies une si belle robe ? Qu'as-tu fait pour cela ?"

Le zèbre réfléchit… Dire la vérité, lui le modeste, il ne l'ose pas. Parce que la vérité c'est qu'un de ses lointains ancêtres a réalisé un acte de bravoure. Ce lointain ancêtre s'était, en effet, arraché des lambeaux de peau aux broussailles de la savane pour parvenir à en faire sortir quelques lionceaux joueurs et inconscients qui s'étaient réfugiés en un endroit hors d'atteinte de leur mère. Le sang qui coulait des blessures avait séché, laissant des traces noires sur la peau blanche. Des traces indélébiles transmises aux générations suivantes par le Très Haut.

Le zèbre interrogé doit faire vite. Devant ses yeux se trouve une mare presque asséchée, alors le zèbre répond : "Hum, après la fin de la saison des pluies, alors que j'avais quelques jours, ma mère m'a baigné dans la boue. C'est une tradition familiale. Voilà, tu sais tout !"

Aussitôt, la girafe s'en va se baigner dans la mare. Hélas, celle-ci est polluée et la girafe en sort maculée de taches brunâtres qui, connaissant son caractère chagrin, ne la satisfont qu'à moitié.

Moralité : cessez de polluer les cours d'eau, les mers et les lacs si vous ne désirez pas que les générations futures à la moindre baignade aient le corps marbré comme celui de la girafe.


SI TU VEUX ÊTRE AIMÉ, AIME

Germaine est une petite grenouille bien malheureuse. Elle est moche, des plaques brunes, plus irrégulières que celles de ses sœurs et de ses amies, lui couvrent la peau.

Elle est dotée d'une voix rauque et pousse des "quoi, quoi,…" tellement ridicules ! "Ne touchez pas cette bête, disent les mères à leurs enfants, sans quoi vous aurez des problèmes d'allergie". "Je ne joue pas avec toi, t'es trop laide", disent les autres grenouilles.

Germaine est triste de toutes ces réflexions. Elle pense : "Je n'attire pas la sympathie. On ne m'aime pas et je ne peux rien y changer. Rien ne m'empêche pourtant d'être gentille. Au moins, je serai contente de moi. Et puis qui sait, peut-être, un jour trouverais-je ainsi une amie ou un mari…"

Alors, un jour qu'elle observe un oiseau chercher pitoyablement à attraper un insecte, elle fait quelque bonds et lui ramène une belle mouche… "Oh merci, ma douce", fait l'oiseau.

Après avoir aidé cet oiseau, elle secourt des oisillons encore peu expérimentés, leur présentant collés sur sa langue de délicieux insectes dont elle aurait pu faire bonne chère.

Un autre jour, elle voit une vieille grand-mère qui pleure et gémit près de la mare. "Oh mon pauvre Jules, parti trop tôt !" Alors Germaine pour consoler la vieille coasse : "Quoi, quoi…" et la vieille, dont l'audition est mauvaise, comprend "Crois, crois…"? La vieille reprend aussitôt courage. "Oui, mon Jules, je crois bien que je te retrouverai là-haut…", fait-elle avec un petit sourire.

Un autre jour encore, elle réalise mille sauts périlleux pour distraire une de ses sœurs immobilisée par une patte cassée.

Un peu plus tard, en quelques bonds, elle transporte un petit escargot qui avait rendez-vous à l'autre bout du jardin.

Un beau matin, la petite grenouille, entend, Maurice, un de ses lointains cousins avouer à son frère en rougissant : "Je l'aime bien Germaine, elle est si charmante et serviable… Je crois bien que j'en suis dingue amoureux."

Par sa douceur et par sa compassion, Germaine avait séduit Maurice et un peu plus tard, celui-ci la demanda en mariage.


POURQUOI LES CERFS ONT-ILS DES BOIS ?

De tous temps, les cerfs ont vécu dans les forêts. De tous temps, ils ont eu conscience de leurs innombrables qualités. Rapides à la course, élégants, souples, ils se considéraient comme les seigneurs des forêts.

Mais un jour, l'un d'eux surpris une conversation entre deux chênes : "Il n'y a que nous, mon cher, qui puissions inspirer le respect de toute la création. Nous sommes beaux, enfin je veux dire, magnifiques, splendides, admirables. Nous vivons très, très longtemps. Personne ne peut rivaliser avec nous… J'oserais même affirmer que nous pourrions prétendre concurrencer le dieu des forêts si nous étions plus audacieux." "Pour sûr, pour sûr", approuvait l'autre chêne en gonflant son feuillage.

Alors le cerf, furieux qu'un arbre s'attribue la place qu'il lui semblait revenir, alla tout rapporter de cette conversation au dieu des forêts.

"Ah les gredins", tonna celui-ci, je vais prendre quelque sanction bien sentie à leur égard. Et toi, je veux te récompenser pour ta loyauté. Que puis-je pour toi, mon ami ?"

"Orner ma tête de bois, Monseigneur" fit le cerf qui espérait ainsi rabattre le caquet des chênes.

C'est depuis ce temps, paraît-il, que les cerfs mâles portent des bois et que les chênes sont pourvus de feuilles caduques et non plus persistantes comme ils l'étaient jadis.

dimanche 16 janvier 2011

Se voiler la face


De l'origine de l'expression...

Il y avait jadis une jeune et jolie princesse, Isabelle. Elle tomba amoureuse de Pierre, le premier palefrenier de son père. Il faut dire que c'était un fort bel homme : grand, le teint mat, les yeux légèrement dorés, il avait un port de tête noble et se déplaçait de manière élégante. De plus, cet homme avait un caractère doux, social, enjoué, serviable et se montrait cultivé. Il parlait d'une voix grave et chantonnait volontiers en pansant les chevaux. Le cœur de la jeune princesse battait la chamade et ses joues s'empourpraient quand elle le croisait ou l'entendait.

Pierre, de son côté, n'était évidemment pas indifférent aux charmes d'Isabelle…

La jeune princesse était désespérée car son père la destinait au prince Nicolas, un prince héritier aussi hautain que sot, aussi laid que riche et qui avait plus du double de son âge. Le prince Nicolas louchait, bégayait, sentait le tabac et ses joues étaient couperosées comme celles de certains vieux ivrognes. Mais comme elle était une princesse de devoir, Isabelle s'apprêtait à sacrifier sa vie sentimentale aux alliances politiques voulues par son père.

"Fais attention ma sœur", lui dit son aînée, un jour qu'elle l'avait vue converser longuement avec Nicolas. "Ta voix et surtout ton visage te trahissent. On remarque que cet homme te déplaît. Tu fais la moue à chacune de ses paroles…"

"Faites attention, ma douce enfant", lui dit sa grand-mère, la reine douairière. "Je vous ai vue plisser le nez en signe de dégoût alors que Nicolas vous complimentait. Si votre promis venait à s'en apercevoir, cela ferait mauvais effet."

Alors, Isabelle, prit la résolution de ne plus rencontrer son fiancé que le visage voilé d'un tissu très fin, orné d'une dentelle délicate, d'une teinte assortie à la couleur de sa robe. Derrière ce voile, il lui arrivait de rire des sottises que disait Nicolas, de sourciller, de grimacer tout à son aise… Elle prit conscience que le voile offrait aussi un autre avantage : il rendait moins visible le visage disgracieux de son promis et le lui rendait ainsi un peu plus supportable.

Ses parents demandèrent à Isabelle quelles étaient les raisons du port de cet étrange ornement : "Mes chers parents, répondit-elle, j'en entendu notre premier ministre dire qu'il fallait assurer la survie de nos industries textiles qui périclitent ces derniers temps. En lançant cette mode, j'espère les sauver…"

Le prince Nicolas qui je vous l'ai dit était un imbécile, jugea que sa promise était sûrement atteinte d'une maladie dermatologique. Il ne crut pas un mot des royales explications et refusa d'encore épouser Isabelle sous le prétexte qu'il ne voulait pas pour reine d'une personne qui se voilait la face devant ses sujets et suivait des coutumes étrangères.

Mais vous comme moi, nous savons qu'Isabelle ne portait ce voile que pour dissimuler ses réactions et voir de manière plus floue cet homme qui ne lui plaisait pas du tout… L'expression est restée jusqu'à nos jours : on dit qu'on se voile la face quand on s'arrange pour ne pas voir ce qui ne nous convient pas.

Ah j'oubliais, comme la jeune princesse ne devait plus épouser le prince Nicolas, elle put épouser Pierre… Pierre et Isabelle se marièrent, furent très heureux et eurent deux enfants beaux comme le jour, intelligents et bons comme l'étaient leurs parents.

Exercice fait à l'atelier d'écriture du 10 janvier.