jeudi 23 décembre 2010

Conte de Noël



Le bonnet du Père Noël a de curieuses propriétés, jugez plutôt !


LE BONNET DE PÈRE NOËL

Pour être radin, Benjamin était radin ! Pourtant, voilà plus de trois mois qu'il avait un emploi plutôt bien rémunéré et qu'il aurait pu se permettre quelques achats futiles, de ces achats impulsifs qu'on ne fait que pour s'offrir ou offrir à quelqu'un d'autre un petit plaisir de saison.

Mais comme en plus d'être radin, Benjamin était conformiste, il était désireux de suivre le mot d'ordre des copains : porter un bonnet de Père Noël pour participer à la soirée organisée par le club de volley. Ceci expliquait qu'en ce quinze décembre, il furetait dans la solderie pour y dénicher un bonnet le meilleur marché possible.

Il a trouvé ce qu'il lui fallait dans le panier aux "bonnes affaires": un bonnet un peu défraîchi, maculé d'une petite auréole grisâtre en vente pour un prix dérisoire.

À la caisse, la jeune préposée lui dit : "Oh celui-là, on vous l'offre. Il a été oublié par un client venu en acheter un neuf !"

Benjamin était tellement ravi qu'il mit aussitôt le couvre-chef. Il n'avait pas fait dix pas, qu'il rencontra un mendiant. Chose qu'il ne faisait jamais, Benjamin glissa sa main en poche et en retira une pièce qu'il déposa dans le gobelet du pauvre homme. Un peu plus loin, à la vitrine d'un fleuriste, il vit une belle jacinthe blanche dans un pot doré. Il entra dans la boutique et acheta la fleur pour en faire cadeau à sa petite amie. Et tout au long de la route qui le ramenait chez lui, il acheta deux grosses boules de Noël rouges pour sa mère, un stylo fluorescent pour son jeune frère, un porte-clefs en forme de balle de golf pour son père, un CD pour lui et un paquet de bonbons pour sa filleule.

Rentré dans son studio, il ôta son bonnet et là, il comprit qu'il venait de réaliser des folies que deux heures plus tôt il n'aurait jamais commises.

Le 18 décembre, il se rendit à la soirée avec son bonnet sur la tête et de nouveau, sans pourtant en prendre conscience, il se montra beaucoup plus généreux que d'ordinaire. Il acheta un paquet de cartes de vœux et un calendrier vendus au profit d'une bonne œuvre et lorsqu'on décida de partager les frais, il arrondit sa participation au chiffre supérieur.

Sitôt rentré chez lui le bonnet accroché au portemanteau, de nouveau, il considéra les choses sous un autre regard et se mit à regretter amèrement ses dépenses excessives.

Le lendemain matin, il neigeait lorsqu'il partit chez le boulanger. Il mit donc le bonnet rouge. Chemin faisant, il croisa le père Noël qui l'aborda joyeusement : "Salut jeune homme ! Oh je vois que tu portes mon vieux bonnet. Heureux qu'il soit encore utile !" Benjamin répondit par un sourire. Mais voyez-vous, il se demande, à présent, si ce fameux bonnet n'est pas à l'origine de son comportement dépensier ! Et moi, qui connais cette histoire, je me demande si ce n'est pas son bonnet qui rend Père Noël tellement généreux !


dimanche 19 décembre 2010

Surice et son concours 2010

Pour cause de neige, nous ne sommes pas allés à la finale du concours de contes de Surice pour laquelle j'avais été sélectionnée. Nous avions décidé de dire ce conte à deux (comme le veut la tradition).

Je vous le livre...

L'AMIE DE LA MESSAGERIE

Histoire d'aujourd'hui, histoire de toujours

C'est le dimanche de la fête des mères et Marie attend assise sur la terrasse derrière sa maison. Une jolie petite maison qui sent bon le propre et l'encaustique.

Le soleil brille, le ciel est bleu et les fleurs du jardin embaument déjà l'air. Milou, le chien des voisins joue, on l'entend qui aboie et court derrière la haie.

Marie attend… Elle attend ainsi depuis le décès d'Albert, son mari. C'est qu'elle ne reçoit guère de visite, Marie. Aujourd'hui pourtant, sa fille, son gendre et leurs deux enfants viennent la fêter. Et cela, ce sera bien mieux qu'un coup de téléphone ou une carte postale envoyée au hasard des vacances.

Marie a préparé deux tartes, l'une au sucre blond, l'autre au corin d'abricots, elle a acheté une bouteille de cidre, celui que sa fille préfère et deux sachets de cuberdons pour ses petits-enfants.

Dans la salle à manger, sur une belle nappe brodée de pois couleur or, elle a dressé une table de rêve : vaisselle blanche en porcelaine fine, couverts d'argent et bougies rouges.

La solitude, la tristesse et la timidité de Marie font peur. Elle fréquente peu les gens du village et arrive difficilement à créer des liens avec eux. Bien sûr, elle salue poliment ses voisins, mais la conversation ne s'étend pas au-delà des banalités de la météo. Bien sûr, il y a le cours d'aquarelle qu'elle suit au foyer culturel, mais elle n'y a pas d'amie.

On sonne à la porte. Marie va ouvrir. La famille est là ! Tout le monde semble hésiter avant d'entrer comme si chacun pressentait que cette visite n'aura rien de joyeux.

Sa fille lui tend un joli paquet rouge :

"Nous avons pensé que cela te sera plus utile que des fleurs ou des chocolats ! Ici, tu es tellement loin de tout…"

Une grosse boîte en carton apparaît sous l'emballage cadeau…

"C'est un téléphone portable. On a choisi un modèle simple, adapté aux seniors. Tu verras les touches sont grandes. Bernard va t'expliquer. Il t'a préparé des petits cartons avec ton numéro afin que tu les distribues autour de toi. On t'a pris un abonnement de six mois et un forfait important pour les communications."

Et Marie passe plus d'une heure avec son gendre. Une heure d'explication, une heure en essais et erreurs, une heure en programmation de numéros. Marie n'y comprend pas grand-chose. C'est tellement inattendu, ce portable. Elle prend quelques notes.

Il est près de dix-sept heures quand on passe à table. Même pas un compliment au sujet des deux tartes. Même pas un merci pour le cidre et les cuberdons. On ne parle que du portable. Ce n'est pas jour de fête des mères, c'est devenu jour de fête des portables !

Avant de partir, Bernard lui propose d'envoyer un dernier SMS. À grand-peine, elle parvient à écrire "tout va bien" et à lui expédier le message. Le portable de son gendre sonne et elle peut y lire les trois mots qu'elle vient de taper !

Il est dix-neuf heures, ils sont partis. Marie a le cœur gros. Elle n'a même pas eu l'occasion de montrer sa dernière aquarelle ni de faire admirer son jardin. Comme ça, juste pour meubler le temps plus que pour mettre son apprentissage à l'épreuve, elle envoie un SMS sur son téléphone fixe. Elle tape simplement "courage", un mot que personne n'a jamais l'idée de lui dire… Qui devinerait que sous ses airs de petite dame comme il faut, il y a de la détresse ?

Dring, dring, Marie décroche, elle entend une voix métallique qui dit "courage". Par habitude, Marie répond "merci". La voix métallique continue. "Franchement, allez, raconte-moi ta journée." Et Marie se confie… La voix poursuit : "Franchement, tu as dû être déçue". Et Marie s'épanche davantage. Quand elle va se coucher, elle se sent tellement légère !

Le lendemain à son lever, Marie vérifie ses messages. Elle en a reçu deux, un de sa fille et un de son gendre. De simples "bonne journée" qui lui font plaisir. Des petits messages comme ceux-là deviendront choses courantes dans la vie de Marie et lui apporteront un peu de chaleur.

Maintenant, quand Marie va au cours d'aquarelle, elle fait comme les autres, elle dépose son portable à côté d'elle. Tout le monde le remarque. Marie raconte…

Maintenant, quand Marie se sent trop seule, elle envoie un SMS sur son téléphone fixe. Et la magie opère, après avoir livré son message, la voix métallique est là et se prête à la conversation. Un conseil revient au fil des jours : "Franchement, ma jolie, sois plus audacieuse !"

Derrière cette voix métallique, Marie a l'impression d'avoir enfin une amie.

Et puis un jour, au cours d'aquarelle, Marie rencontre Léa, une nouvelle élève. Léa parle d'une voix métallique et souvent, elle émaille ses discours de 'franchement' parfois cocasses tant ils sont inappropriés ! Marie acquiert peu à peu la certitude qu'elle s'est fait une amie véritable, que Léa et la femme qui délivre les SMS sur son téléphone fixe ne sont qu'une seule et même personne !

À présent, Marie et Léa se rencontrent en dehors du cours. Elles font des balades, partagent de bons repas et se prêtent des livres.

La discrétion étant une de ses principales qualités, Marie, n'interroge pas Léa au sujet des étranges coïncidences. Elle n'a jamais posé la question qui lui brûlait les lèvres : "T'es qui toi, qui es entrée ainsi dans ma vie…"

Le flou n'a-t-il pas ce charme que trop de précision peut rompre ?

Franchement.
Histoire de communication.
Histoire d'aujourd'hui.
Histoire de toujours.